vendredi 25 novembre 2011

Merci Josée Blanchette pour la sensibilité de votre texte Sous la surface/Le testament immatériel

  • Un texte qui fait réfléchir sur  la vie, la mort...

  • Sous la surface

Sous la surface

Le testament immatériel

Entre chaud et froid, entre liquide et solide, mon étang de givre et de contemplation, certains diraient «un jardin secret».<br />
Photo : Josée Blanchette
Entre chaud et froid, entre liquide et solide, mon étang de givre et de contemplation, certains diraient «un jardin secret».

À retenir

    • «Aujourd'hui 23 novembre, je me sais mortelle. Non que je me sois crue jusqu'alors immortelle, mais aujourd'hui, tout en moi — des cheveux aux ongles de pieds — sait que je suis mortelle, irrémédiablement mortelle.» - Christiane Singer, Rastenberg
    • «J'ai été surpris de découvrir à quel point la rédaction d'un testament peut être jubilatoire.» - David Servan-Shreiber, On peut se dire au revoir plusieurs fois
    • «Il n'y a rien à redouter dans le fait de vivre pour qui a authentiquement compris qu'il n'y a rien à redouter dans le fait de ne pas vivre.» - Épicure
Il faut être prêt à se vêtir de réalisme et à se dévêtir dans l'humilité, se savoir un tout petit peu plus mortel que les autres pour entreprendre la rédaction d'un testament. Mais il est préférable d'être encore bien vivant pour rédiger un testament d'un tout autre ordre, le testament immatériel, à mi-chemin entre le patrimoine intime et le bilan de la fin.

De tout ce qu'on laissera derrière, sous cet amas d'objets, de photos, de paperasses et de documents, c'est peut-être le plus précieux des legs, le plus jubilatoire; celui qui donne l'impression qu'on se délestera d'une part de soi pour imprégner l'humanité dissolue.

Si on ne se sait pas mortel en novembre, c'est que l'on est resté sourd et aveugle devant l'évident dépouillement.

«Aujourd'hui la nouvelle atteint mes reins. Je me sens flétrir. Feuille après feuille. Mon arbre est dépouillé de sa parure, mes branches nues oscillent, écrit Christiane Singer dans Rastenberg. Et chaque parcelle de moi reçoit le message: la mort est ton maître. La mort est ton maître. Je vais tout devoir restituer, tout. La saisie va avoir lieu, les huissiers de Dieu se préparent à placer les scellés. Là où on m'emmène, je n'emporterai pas un seul cheveu de ma tête, pas une dent de ma bouche. Le bail expire.»

Oh, n'allez pas croire, l'exercice n'a rien de déprimant mais il exige un léger courage, le déni quotidien à enjamber, un appel à percevoir, plus grand que soi à regarder dans le blanc des yeux: «La perception que nous avons habituellement du monde baisse les stores pour épargner nos rétines et nous maintenir dans l'esclavage et la pénombre. Oser braver l'instant!», propose encore cette écrivaine aujourd'hui décédée, que j'ai eu le bonheur de rencontrer il y a neuf ans. J'étais enceinte, elle avait 60 ans. Elle avait posé sur moi ce regard qui sait et vous apaise.

Carnet de passage

Aucun lien de parenté avec le faste des funérailles et l'éclat empesé du dernier spectacle, non, plutôt un recueil de l'intime, de nos pensées jamais déversées, de nos manies, de nos fiertés, de nos espoirs déçus, de nos victoires sur nous-mêmes, un adieu plus lumineux à ceux qui restent. Ce carnet existe, en imprimé (voir les «Zestes» dans cette page), mais vous pouvez aussi vous le fabriquer, réaliser votre propre cahier avec pour seul chapitre, le dernier.

Tout y sera: de votre vision de la maladie, de la vie, de la mort, à celle de l'épreuve et de l'invisible. Tout y sera, de l'essentiel au superflu. J'y songeais vendredi dernier en admirant les étoiles à la campagne. Les ciels d'hiver sont toujours plus saisissants. Et imaginer sa mort en perdant le nord dans l'infini a quelque chose de terrifiant et de rassurant. Un jour, un soir, on fera partie du mystère.

Au moment de mourir, je ne voudrais pas voir de rideaux jaunes et de murs verts devant moi; je voudrais être au Planétarium. Au moment de mourir, je ne voudrais pas sentir l'odeur de Pine Sol; je voudrais être au centre d'un bosquet de lilas mauves et blancs. Au moment de mourir, je ne voudrais pas qu'on m'appelle «madame Blanchette», je ne saurais pas de qui vous parlez. Au moment de mourir, je voudrais tenir la main d'un enfant, mon enfant, mon petit-enfant, et la main d'un vieux, mon vieux.

Au moment de mourir, je ne voudrais pas que l'élu(e) de ma circonscription électorale ou la ministre des Aînés vienne se faire prendre en photo avec moi parce que j'aurais 100 ans. Au moment de mourir, je voudrais être massée par un beau et jeune (n'importe quoi en bas de 65 ans) massothérapeute bien musclé, capable d'imaginer que j'ai déjà eu 20 ans.

Au moment de mourir, je ne voudrais pas boire de champagnette, j'en veux du vrai. Ou de l'eau en bouteille qui goûte l'eau de Pâques. Au moment de mourir, je voudrais porter du cachemire, même l'été (je suis frileuse), plutôt qu'une jaquette d'hôpital en polyester.

Au moment de mourir, je voudrais que Dany Laferrière me fasse la lecture, du Laferrière et de la poésie. Je suis sensible aux timbres et Dany a un organe superbe. Mais qu'il m'épargne les livres qu'il a énumérés à TLMEP dimanche dernier, je serai trop fatiguée pour Borges ou Beauvoir. Par contre, pour la mangue dégustée à mains nues, j'approuve. Avec une giclée de jus de limette, le vinaigre des Antilles, pour le contraste.

Silence, on retourne

Au moment de mourir, je voudrais qu'une infirmière rondelette et maternelle, le «toton fort» et qui semble avoir tout son temps, relève mes oreillers en me disant doucement: «Je vous ai laissé du thé au citron vert avec vos biscuits, madame Joblo.» Au moment de mourir, je voudrais qu'on éteigne Cité Rock Matante, qu'on m'épargne la télé, Twitter, Facebook, mon téléphone et tout ce qui fait du bruit. Vous pourrez laisser l'ordi branché sur iPhoto en mode diaporama, ça me fera répéter pour le générique de la fin et me rappeler les faces que je ne dois pas oublier.

Pour les fesses, y a pas de saint danger, surtout sur la photo de mon second-mari-usé-du-genou, dans le canot, sur l'étang: elle me fait toujours sourire. J'aimerai les fesses jusqu'à la fin, spécialement les fesses d'anges un peu potelées.

Au moment de mourir, j'aimerais entendre des oiseaux, du Bach, m'éteindre dans la véranda près de la forêt, comme Rémy Girard dans Les invasions barbares. Je suis allergique à la codéine, je n'ai jamais sniffé de cocaïne et je suis partante pour toutes les morphines. Je n'aurai plus de veine mais j'en ai déjà eu beaucoup.

Au moment de mourir, laissez tomber les prières, faites-moi jouer du Fred Pellerin (Silence ou Douleur de Félix), les tangos à l'harmonica pleurés par Hugo Diaz, ou laissez-moi la sainte paix, ça fera changement parce qu'entre vous et moi, j'aurai trouvé mon passage ici-bas bien bruyant. J'aurai gagné mon silence. Et si je suis dure de la feuille, laissez-moi m'effeuiller, n'ajustez pas mon appareil.

Pour le reste, j'ai appris deux leçons de la vie: il faut tout dire à au moins une personne. Puis il faut se taire pour s'entendre avec soi-même.

***

JOBLOG

Indignée et éclopée

Monsieur le maire,
Je vous ai envoyé un tweet la semaine dernière, auquel vous n'avez pas répondu. Je vous informais que je m'étais foulé le pied (à quatre pattes dans la rue) à cause du pavé crevassé, inégal, dans un état lamentable. La nuit venue, je ne me suis pas aperçue que j'avais mis le pied où il ne fallait pas, c'est-à-dire dans la rue.

Je ne vous aurais pas écrit pour un incident aussi banal qui a nécessité de la glace, une canne, des onguents et beaucoup d'immobilité. Non. S'il n'était arrivé la même chose à ma mère, à une amie et à une jeune collègue (à vélo: trou dans un sentier du parc Lafontaine prestement rebouché le lendemain, séjour à l'urgence, points de suture au visage et quelques jours de congé) dans la même journée ou durant le même automne, je n'aurais pas osé partager avec vous mon «indignation», un mot usé à la corde. Quant aux coûts sociaux, on n'en parle même pas.

Monsieur le maire, c'est peut-être à madame Harel que je devrais écrire? Elle prévoit investir dans le pavage des rues si elle est élue. Quelle idée visionnaire.

Merci de votre attention,

Une Montréalaise en vie


http://fr.chatelaine.com/blogues/jo_blogue

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ET LES ZESTES

Commandé Carnet de passage de Josée Bouchard (www.joseebouchard.com). Tout y est pour vous donner des idées de testament jubilatoire et immatériel. Ce que vous aimez manger, voir, entendre, toucher. Ce que vous auriez aimé pardonner, dire, ceux que vous aimeriez revoir, prévenir. Même les livres qui vous ont portés, les mots qui durent, les pensées qu'on tait, les manies, les phobies, les maladies de l'âme, les secrets.

Des suggestions de lettres à ceux qui restent et qu'on a chéris. Bref, beaucoup d'inspiration et une belle idée pour faciliter le passage. Suffit de prendre le temps pour faire ce voyage intérieur.

Lu le livre Est-ce que tout le monde meurt? de Lynne Pion à mon B, qui a adoré. Ce livre pour enfants de 5 à 105 ans explique bien la mort, sans détour, aux petits qui ont soif de vraies réponses. Si le mystère subsiste, au moins les enfants peuvent parler de leurs craintes, de leurs deuils intimes (mamie Julie, est-ce qu'elle va revenir?), de leurs angoisses devant l'irrémédiable départ.

On peut demander à son libraire de commander le livre publié à compte d'auteur ou se le procurer ici à www.lynnepionauteure.blogspot.com.

Aimé Les gourmandises d'Isa d'Isabelle Lambert, à qui j'avais consacré une page ici en 2010.

Sur mon lit de mort, je voudrais de la confiture d'abricots d'Isabelle (elle ajoute les amandes du fruit, un travail fastidieux) et n'importe lequel de ses desserts fabuleux. On les retrouve nombreux dans ce livre où toutes les recettes salées demeurent superflues. Tiens, en fin de semaine, je me lance, je fais des îles flottantes au caramel. Il me semble que c'est à mi-chemin entre le nuage et l'étang recouvert de glace craquée. lesgourmandisesdisa.blogspot.com.

Relu On peut se dire au revoir plusieurs fois de David Servan-Schreiber. Le bon docteur décédé cet été à l'âge de 50 ans nous sert toute une leçon de vie au fil des pages. Il sait qu'il n'a aucune chance mais il s'accroche à la vie, à sa plume.

Aux patients à qui il demandait lui-même s'ils avaient envisagé l'échec d'un traitement et l'éventualité de la mort, Servan-Schreiber constatait que l'immense majorité accueillait cette question avec soulagement. Souvent, les malades ne peuvent évoquer la finalité avec leurs proches. Ils attendent qu'on leur donne l'autorisation d'en parler.

Pourtant, on apprenait la semaine dernière que seulement 9 % des Canadiens parlent ouvertement avec leur médecin des conditions dans lesquelles ils veulent mourir. La médicalisation de la mort aurait engendré la peur d'aborder le sujet... Gros progrès.

Écouté C'est un monde, le dernier disque de Fred Pellerin. C'est feutré, poétique, ça parle de l'amour et de la mort. Pour les paroles de Fred et la très belle chanson écrite par son pote René Richard Cyr — Il faut que tu saches — qui en fait son thème. «Sache si la peur est un trésor / Si la fuite est la mort / Toi qui viendras après moi / Toi qui viendras après moi.» Le coiffeur de Babine est aussi un parolier. Quant à Fred, il est un vrai chansonnier.

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cherejoblo@ledevoir.com
Twitter.com/cherejoblo
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